Vous l’avez remarqué, le son spatialisé fait l’actualité dans de nombreuses salles et sur quelques premières tournées. Et s’il n’était pas réservé qu’à la face ? S’il était pertinent pour reproduire la réalité de l’espace sonore live dans les mixes retours.
L’artiste d’aujourd’hui qui se produit sur des scènes grand format est confronté à un problème singulier. Dans la plupart des cas, contraint d’utiliser des ears sur mesure et donc parfaitement isolé de l’espace dans lequel il évolue, il est privé du lien sonore direct avec son environnement.
Comment, dans ces conditions particulières, peut-il sentir, appréhender, comprendre et entrer en parfaite communion avec son public. Nicolas d’Amato a une solution, avec KLANG Technologies. Allons vite le retrouver sur un concert de Patrick Bruel pour écouter ça…
Zenith de Dijon, concert de Patrick Bruel. Quatre musiciens, séquences, une sonorisation de face en Midas Pro 10 et K1 L-Acoustics. Jusque-là, rien de particulier. C’est à la régie retour où l’innovation technique se passe.
Nous y retrouvons Nicolas d’Amato, aux commandes de sa DiGiCo SD7-Quantum, prêt à nous expliquer comment il gère les retours de ses artistes en mode spatialisé. Cela tombe bien, le concert est complet et le public de Bruel, est, comme à son habitude, extrêmement communiquant.
SLU : Bonjour Nicolas, je crois que tu utilises une méthode particulière pour les retours artiste ?
Nicolas d’Amato : Oui, j’utilise le système KLANG pour ajouter de l’espace supplémentaire à mes mixes stéréo destinés aux ears. Ce système me permet de reproduire parfaitement les ambiances de la salle dans une parfaite demi-sphère sonore 3D.
Si ici il s’agit plutôt d’une spatialisation frontale, car le public est devant, cela prend encore plus de sens dans le cas d’une scène centrale, un Bercy par exemple, où je pourrais reproduire des ambiances sur une sphère à 360 degrés. L’artiste peut ainsi percevoir l’environnement complet, devant, sur les côtés et derrière. C’est très facile à utiliser et c’est vraiment orienté live pour les retours.
SLU : Tu utilises ce système systématiquement ?
Nicolas d’Amato : J’utilise la technologie KLANG sur les projets importants. La première fois que je l’ai utilisé c’était sur la tournée Lettre Infinie de -M-. Matthieu n’avait jamais utilisé de ears avant. Il passait de wedges et sides à des ears fermés qu’il avait toujours détestés. Pour lui donner un son naturel, j’ai placé dans le studio, pendant les répétitions, six microphones Sennheiser MKH8040 en 360 degrés autour de lui.
J’ai reproduit cet agencement dans le système KLANG que j’ai utilisé pour ses retours. C’était parfait. Si quelqu’un, derrière lui, lui parlait, il se retournait immédiatement. Il n’avait plus l’impression d’être dans un espace fermé. Je simulais ainsi facilement une pièce en 3D dans laquelle il retrouvait ses repères. J’ai alors compris que cela allait être très utile pour le live. J’ai gardé la musique très produite en stéréo dans les retours et j’ai rajouté les ambiances en 3D avec le KLANG.
SLU : KLANG propose différentes solutions hardware, laquelle as-tu choisi ?
Nicolas d’Amato : La carte DMI-KLANG est très facile à intégrer dans les DiGiCo. Dans cette régie elle est placée dans une Orange Box, ce qui permet ainsi de partager et d’utiliser une seule carte dans les deux machines de la console. La partie audio passe par la fibre et la partie réseau est connectée à un mac qui intègre le logiciel de contrôle KLANG:APP.
SLU : Elle peut être pilotée depuis la console ?
Nicolas d’Amato : Oui, l’utilisation du logiciel de Remote est optionnelle ; la SD7 peut faire le travail toute seule. Tu peux le mettre en service sur les tranches de ton choix. Même si je n’aime pas vraiment tout gérer avec des ordinateurs, l’utilisation de la commande à la console individualise le contrôle par tranche et ne me donne pas une vue globale.
Pour cette raison, j’utilise le logiciel KLANG:APP qui me donne cette vue d’ensemble de tous les micros. Une fois que mes sources sont calées et que mon mix objet est fait, je n’ai généralement pas besoin de le bouger pendant le spectacle, sauf aux balances pour adapter l’élévation et coller avec la réalité du gradinage de la salle.
SLU : Et côté latence ?
Nicolas d’Amato : Évidemment c’est important pour les retours. Le traitement du KLANG ne prend que 0,25 ms. Pour le système de Ear Monitoring RF, j’utilise toujours du Wisycom. Donc en analogique et avec très peu de latence. J’arrive ainsi à garder toute ma chaîne, traitement et conversion console, dans une latence totale max de 1.7 ms.
SLU : Comment intègres-tu le système KLANG dans ton setup ?
Nicolas d’Amato : Je peux envoyer n’importe quelle source dans le système KLANG, via la boucle Optocore et la carte DMI KLANG apparaît dans les connexions audio de la console sur les deux machines sous la forme de 64 in et 64 out.
Ce flux s’intègre dans ma table en complément des flux MADI des séquences en provenance des cartes RME, les flux des deux SD racks et le flux des effets que je gère avec Gig Performer sur un mac externe via une carte Digigrid MGB.
En tout, je gère 155 sources à travers 38 mixes mono et 24 stéréo. Les mixes mono servent essentiellement pour les talks et les envois d’effets. On pourrait encore en rajouter ?? la console a de la ressource. Il reste 48 canaux en entrée et 43 bus mono en sortie.
SLU : Combien de sources spatialises-tu dans les retours ?
Nicolas d’Amato : Le système KLANG permet la spatialisation de 64 sources mono vers 16 mix binauraux ce qui le prédestine tout particulièrement au mixage de retour. J’avais essayé au tout début de faire des mixes en intégrant tous les instruments, mais je n’aimais pas le rendu. Tout me paraissait lointain et diffus et souvent je me retrouvais à égaliser des sources alors que ce n’était pas forcément nécessaire. Ceci entrait en conflit avec l’égalisation due au placement sonore du KLANG et l’ensemble manquait de cohérence en phase… Je trouve que j’ai moins d’impact qu’en stéréo.
Je préfère faire un bon mix stéréo pour les instruments et utiliser KLANG pour spatialiser uniquement les ambiances ainsi que la partie tonale des séquences comme les cordes ou les synthés. Ceci me permet de garder de la puissance et de l’impact sur la musique, et d’élargir le mix en 3D par les ambiances, pour encore plus de sensations.
J’envoie donc dans KLANG les ambiances et les séquences harmoniques, en fait, tout ce qui n’a pas de transitoires. Je les place un peu devant pour leur donner plus d’espace. En résumé, je spatialise tout ce qui n’est pas joué en live.
SLU : Il s’agit de mix binauraux, qui mettent en œuvre un profil HRTF?
Nicolas d’Amato : Oui. Le système KLANG exploite un profil général HRTF (ndlr : fonctions de transfert relatives à la tête) utilisé pour générer le mixage binaural. Bien sûr en fonction de chaque artiste la perception peut changer.
Cela dépend de leur conformation corporelle. Cela marche bien avec certaines personnes qui sont dans la moyenne HRTF, moins pour d’autres car l’algorithme est basé sur une moyenne.
C’est assez variable, mais en général la perception est bonne sur le frontal et les latéraux. C’est ce qui nous concerne la plupart du temps. Je rajoute donc cette demi sphère spatialisée à mon mix de retour stéréo. Cela permet d’avoir un mix musique en stéréo et une ambiance en 3D autour. Je peux ainsi gérer le placement horizontal et l’élévation des gradins suivant la salle et l’artiste obtient ainsi une véritable reproduction naturelle de l’espace dans lequel il évolue.
SLU : Comment captes-tu les ambiances ?
Nicolas d’Amato : J’utilise en tout 10 micros Sennheiser de la série 8000 pour capturer les ambiances et les envoyer dans le KLANG. Ce sont pour moi des micros fantastiques. Ils sont extrêmement précis et délivrent une très belle dynamique.
L’ambiance c’est ce qu’il y a de plus important dans un live, car le public et la salle sont les seuls éléments qui changent vraiment tous les jours et qui donnent le caractère particulier d’une date de tournée.
Je positionne trois micros canon de chaque côté de la scène, derrière les écrans et donc la diffusion. Ils ne polluent pas l’espace scénique et ne gênent personne visuellement. Un micro canon MKH8070 pour saisir le fond du gradin, un micro semi canon MKH8060 pour le milieu de la fosse et un autre MKH8060 qui prend les latéraux.
Sur le front de scène, je place un micro cardioïde large MKH8090 de chaque côté et un couple AB de cardioïdes MKH8040 au centre. J’utilise des cardioïdes larges pour éviter d’avoir trop de détails, comme des bruits gênants ou des chuchotements non désirés dans les oreilles de l’artiste.
Ils sont destinés à capter les fans qui connaissent les paroles par cœur. Cela fonctionne très bien. Tu peux déjà te rendre compte de la sensation d’espace dans les ears simplement en écoutant la salle à vide.
SLU : Comment les gères-tu dans le logiciel KLANG ?
Nicolas d’Amato : Je les envoie depuis leur tranche de console respective en sorties directes (Direct Out). En retour de KLANG, je reçois un mix binaural stéréo que je mélange au mix de l’artiste. J’équilibre entre les deux types d’ambiance, le lointain avec les canons quand ça applaudit pour avoir un gros son de salle bien large et pour des interventions ponctuelles du public et les fans du parterre quand j’ai besoin de faire entendre le public chanter plus précisément.
SLU : Tu n’envoies les retours spatialisés qu’au chanteur ?
Nicolas d’Amato : Oui, essentiellement pour les ambiances en tout cas. Je n’envoie que les séquences en 3D chez les musiciens qui n’ont pas tant besoin des ambiances, à part le directeur musical en fin de spectacle qui doit suivre le public qui chante. SI jamais un musicien a besoin d’ambiances, je peux sans problème générer un mix binaural supplémentaire dans KLANG et lui envoyer dans son mix stéréo classique.
SLU : Quand les artistes entendent les ambiances spatialisées, quelle est leur perception ?
Nicolas d’Amato : Le retour après concert est globalement toujours très bon. Mais tu sais, je n’en parle pas forcément et n’explique pas comment je fais techniquement. Je ne rentre jamais dans les détails car cela n’est pas nécessaire, l’essentiel étant le bon ressenti.
L’artiste bénéficie de ces ambiances en 3D qui lui donnent une perception du public très aérée et confortable, reproduisant avec naturel son environnement. Il se sent beaucoup plus à l’aise et communique facilement avec son public. C’est ça le plus important.
SLU : Quel choix fais-tu pour les réverbérations ?
Nicolas d’Amato : C’est important d’avoir beaucoup de processeurs de réverbes pour les retours. Je fais le choix d’utiliser une réverbe par musicien et par voix ce qui me permet de faire des retours adaptés aux demandes de chaque musicien sans perturber les autres.
J’utilise une M6000, donc 4 machines, deux sur la batterie (une courte, une longue), une sur les guitares acoustiques de Yannick Chouillet et une sur la voix de l’artiste, ainsi qu’une Bricasti M7 pour sa guitare.
SLU : C’est pour cela que tu utilises Gig Performer ?
Nicolas d’Amato : Oui, c’est très pratique surtout parce qu’on peut utiliser tous les formats et toutes les marques de plug-ins ! J’utilise Gig Performer dans un Mac Mini i7. La latence est assez courte, mais malheureusement pas assez pour utiliser des traitements en insert, je ne l’utilise donc que pour des effets. Dans le logiciel je programme un rack par titre et les commute en MIDI par program change.
SLU : Tu as aussi quelque chose de spécial sur la batterie ?
Nicolas d’Amato : Pour faire de la compression parallèle dans les retours c’est compliqué et souvent cela génère de la latence avec des plug-ins externes quand on cherche une compression avec une couleur particulière. J’essaye donc de le faire à la source.
J’utilise pour cela un micro Periscope de Scope Labs que je place derrière le batteur. C’est un micro omnidirectionnel unique qui intègre un compresseur simulant le célèbre effet du listen mic de la SSL4000, ce son studio extrêmement compressé par le micro d’ordre de la célèbre console, qui a inspiré le célèbre son de batterie dans le titre “In The Air Tonight” de Phil Collins.
Je le renvoie en parallèle dans le mix du batteur. Ça rajoute un médium saturé par cette compression extrême, de la chaleur et une bonne consistance à la batterie. C’est du confort en plus.
SLU : Et ce n’est pas tout ?
Nicolas d’Amato : Sur la batterie le kit est assez impressionnant avec 35 lignes micro. Autant te dire que tout recaler en phase, même si je peux le faire à l’oreille, va me prendre un peu de temps.
Pour simplifier l’opération, j’enregistre mon kit en multipiste sur un Protools et j’utilise les plugs-ins Auto Align 1 et 2 de Sound Radix qui analysent et calculent les valeurs de délai pour une cohérence en phase parfaite. Je gagne énormément de temps.
J’intègre ensuite les valeurs de délai et la polarité obtenues sur chaque piste live à condition de ne pas dépasser les 2 ms, car le kit batterie et sa position ne changent jamais, à quelques millimètres près évidemment. Une macro AB me permet d’écouter instantanément avec ou sans alignement de phase.
Le résultat est parfaitement audible, avec l’affirmation d’un premier plan ultra efficace. Je pourrais faire ceci avec des filtres passe tout, disponibles sur la SD7, mais cela me consommerait injustement trop de points d’eq.
SLU : Et sur la voix ?
Nicolas d’Amato : Pour la voix, j’attache une grande importance à la préamplification micro avec un NEVE 1073DPA qui rentre directement dans ma console. Il me donne une belle chaleur et une très bonne intelligibilité.
Je ne mets quasiment jamais de compresseur sur la voix dans le mix de l’artiste pour qu’il préserve sa véritable dynamique. Si jamais je dois compresser pour des raisons de production sonore particulière, je préviens l’artiste pour qu’il en ait conscience et puisse contrôler avec justesse la dynamique de son chant.
SLU : les séquences sont aussi spatialisées dans les retours ?
Nicolas d’Amato : Oui j’utilise aussi le processeur KLANG pour les séquences stéréo non percussives, mais en insert. Je peux ainsi choisir en activant l’insert de passer du mode stéréo au mode 3D simplement en activant une macro sur la console. Je place ainsi les séquences sur un plan de mix différent des instruments joués live.
Le mix se trouve alors plus aéré tout en laissant extrêmement plus de précision au jeu du musicien. Les cordes très écartées et en hauteur. Les claviers sur un autre plan. Les séquences d’effets, derrière et les séquences de chœurs vraiment devant.
J’utilise peu la spatialisation vers le bas, je ne la trouve pas très pertinente ici. Bien entendu, je ne spatialise pas les séquences percussives au sujet desquelles j’ai besoin de tout l’impact et que je garde en stéréo.
SLU : Qui dit son spatialisé, dit aussi tracking ?
Nicolas d’Amato : Pour garder la cohérence de l’image sonore dans les retours en fonction de la position sur scène, il existe un système assez pratique. Il suffit d’utiliser un smartphone ou une tablette, placé sur un pied, que tu peux tourner en fonction du placement de l’artiste.
Sur une scène comme ici ce n’est pas très utile, mais sur une scène centrale cela prend tout son sens, car les ambiances suivront le public que l’artiste regarde. Après, le problème d’un tracker externe comme un iPad peut créer des confusion de placement dans l’espace, mouvements pas naturels et être plus perturbant qu’autre chose. C’est donc à utiliser avec parcimonie.
L’artiste est impressionnant de maîtrise dans cette scénographie mêlant une très grande variété de tableaux. L’émotion passe en permanence entre un public qui chante et intervient souvent et le chanteur qui n’hésite pas, lui non plus, à jouer quelques chansons sur un simple piano au milieu des gradins. Qu’importe où il se trouve, il est en parfaite communion avec son public.
Il ne fait aucun doute que ses retours spatialisés contribuent à cette aisance et à sa mise en confiance. L’option KLANG est facile à mettre en œuvre, autant sur le plan technique que sur le plan du mixage. J’invite fortement les artistes à l’essayer, la qualité de leur spectacle et de leur prestation en sera décuplée d’autant.
Et d’autres informations sur le site DV2
Crédit concert :
Scénographe, concepteur lumière : Nicolas Maisonneuve
Opérateur lumière : Jean Pierre Cary
Mix FOH : Vincent Voyron
Réalisation : Thibaut De Vreese
Conception médias vidéo : Cutback